Choc psychiatrique: comment j'ai caché ma véritable identité
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Choc psychiatrique: comment j'ai caché ma véritable identité

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Choc psychiatrique: comment j'ai caché ma véritable identité

Un jour, mon psychiatre m'a demandé : Qui es-tu? Honnêtement, à cette époque, je n'en avais pas la moindre idée. Je savais que j'étais un être humain, un femme, une Québécoise... Mis à part le fait que j'appartenais à certains groupes malgré moi, je ne savais ni ne pouvais dire qui j'étais vraiment. Ma personnalité? Heu... En fait, je ne m'étais jamais posé la question. Pour moi, c'était pas compliqué : il y avait moi et les autres. Je suis moi et les autres sont les autres. C'est-à-dire que les autres forment un groupe et que moi je forme un groupe à moi toute seule. Les autres ont des codes sociaux bien à eux, des codes qui partent en vrille dans mon esprit différent. Tout le monde est différent, dit-on.

Eh bien, pour moi, non, tout le monde est pareil. Tout le monde pense comme tout le monde et tout le monde agit comme tout le monde. Les gens sont des moutons. Quatre-ving-dix-neuf pourcent des moutons sont blancs, et moi, je suis le mouton noir. On me pointe du doigt, on rigole dans mon dos et, parfois, on me dit de m'en aller. On ne veut pas que je sois là. Les autres et leurs codes sociaux vivent d'une drôle de manière, avec des artifices tout plein la bouche, des s'il vous plaît et des merci qui ne veulent rien dire. Un entraînement de mouton blanc.

Mais revenons à mon psychiatre. Lui, il voulait savoir. Il m'a diagnostiquée le trouble bipolaire, l'autisme et le trouble obsessionnel-compulsif. Trois étiquettes qui servent à tenter de comprendre ce que l'on ne comprend pas, quand les gens ont des codes bien à eux qu'ils ne partagent avec personne, quand leurs s'il vous plaît et leurs merci, ils ne les disent pas ou se les disent à eux-mêmes seulement. Je me suis bien gardée de dire la vérité à mon psychiatre, le Dr Machinchouette, lui qui était si prompt à me cataloguer dans son DSM-IV comme pseudo-folle à temps plein. Je suis moi-même, lui ai-je répondu. Mais en vérité, nous sommes nous-mêmes, une vérité trop éprouvante pour même l'énoncer à voix haute, même à un spécialiste des problèmes qui ne se voient pas et qui ainsi n'existent pas pour la plupart des gens. Mais lui, le Dr Machinchouette, il connaît ce qui se passe dans la tête des gens, croit-il.

Pas tant que ça, en fait. Parce que j'ai réussi à le berner pendant dix ans, le Dr Machinchouette, lui et sa quinzaine de gros bouquins sur les problèmes invisibles des gens visibles. Voilà, je n'ai jamais dit au Dr Machinchouette que je ne suis jamais seule dans ma tête, qu'il y a toujours quelqu'un quelque part au creux de mon cervelet qui me parle et me dérange. Des gens invisibles qui existent dans une personne visible. Des voix qui me parlent et me donnent des ordres, des gens visibles pour moi qui sont invisibles pour les autres et, surtout, des gens invisibles pour moi comme pour les autres qui prennent le contrôle de mes pensées et m'empêchent d'être moi. Je ne suis pas qui je suis, nous sommes qui je suis/nous sommes peut-être. Je ne sais plus ou j'en suis. Je ne sais plus rien.

Mais tout ça, je ne l'ai pas dit au Dr Machinchouette. Par peur de passer pour une folle, parce que je sais au fond de moi que je ne suis pas folle, ce sont tous ces gens invisibles dans ma personne visible qui m'irritent, me fâchent et me teignent en noir, moi un mouton tout blanc dans mon intérieur invisible.

Qui suis-je?

Douze ans ont passé. Douze années d'amitié, de religion, d'études, de famille à faire semblant d'être un mouton gris auprès des personnes visibles et invisibles. Tout juste gris pâle, tout juste bon à ne pas trop effrayer les moutons blancs.

Mais voilà. Je ne me souviens plus trop comment ni pourquoi, mais je me suis retrouvée sur la chaise des gens visibles en face d'un autre psychiatre, le Dr Trucmuche, qui était là en face de moi en même temps qu'il existait chez les gens invisibles. J'ai tout raconté. Les moutons, le gris, le noir, le blanc, les gens visibles, les gens invisibles, le mal, le bien et tout et tout. Le Dr Trucmuche a tout compris. Mauvais diagnostic, paraît-il. Non pas trouble bipolaire et autisme, mais trouble schizo-affectif.

Qui suis-je? Ai-je crié de l'intérieur auprès des gens invisibles et des moutons blancs.

Je suis schizophrène. Enfin, à l'âge de 30 ans, je sais qui je suis, ce qui n'explique rien. Je suis moi, quelqu'un non pas de différent comme je l'ai toujours cru, non je suis moi, j'ai le cerveau défectueux. Les moutons blancs ont fait de moi une folle à temps plein. Je ne suis plus pseudo-folle comme avant, j'ai franchi une étape, je suis devenue le mouton noir d'ébène qui se fait passer pour un vrai mouton noir d'ébène, un vrai de vrai.

Avant, on me rejetait parce que j'étais différente. Maintenant, on m'accepte parce que ce n'est plus ma faute, c'est mon cerveau qui est défectueux. Les moutons blancs m'acceptent parce qu'ils n'ont plus peur de ma différence, ils acceptent ma défectuosité. J'étais noire, je suis devenue grise et aujourd'hui je suis si pâle que j'en suis presque blanche que c'en est aveuglant.

Aujourd'hui, j'aimerais répondre au Dr Machinchouette que les gens visibles ont fait de moi un mouton blanc, ce que les gens invisibles ne comprennent pas. Des s'il vous plaît et des merci, j'en ai plein la bouche de mouton blanc-gris-noir. Je comprends que je ne serai jamais comprise par les moutons blancs et que je devrai toute ma vie vivre aux côtés des moutons noirs, avec dans ma tête, les gens invisibles qui me parlent et me regardent sans que nécessairement je les vois.



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